Saisir le spectateur : tel est le projet commun à Tintoret et Francis Bacon. Ceci non pas dans le but de le faire participer à quelque ré?exion, mais afin de l’impliquer dans la soudaineté d’un dévoilement : celui du mystère de la chrétienté pour le peintre vénitien, celui du sens caché de la réalité quotidienne pour Bacon.Jusqu’où est-il possible de transgresser les lois de l’équilibre ?À quel moment le sens d’un portrait se condense-t-il avant de s’évanouir dans l’abstraction ? À quel instant précis le geste miraculeux dévoile-t-il le surnaturel aux yeux d’une assemblée saisie de stupeur ?Cette parenté dans l’exercice du saisissement qui caractérise les deux peintres trouve son expression la plus générale dans le concept de singularité. Singularité, bifurcation, déchirement, cassure : il est un moment fatidique où un système, poussé dans ses retranchements, renonce à sa course et adopte soudainement un comportement imprévisible.Bacon, dans ses toiles, mais aussi dans sa vie tumultueuse et scandaleuse, a aimé côtoyer cette lisière où le sens bascule, qu’à d’autres fins Tintoret avait exploré avant lui, et qu’a formalisé le mathématicien français René Thom dans sa fameuse « théorie des catastrophes ».