Le prince et la muse

« Le jour de ses quarante-sept ans, Hossein prit conscience que le chant est ce qu’il y a de plus important au monde. Il se souvient que, ce jour-là, en son honneur, son vieil ami Farid avait fait venir des musiciens sous la tente et qu’il avait demandé à ses filles de les accompagner. Un musicien chauve et osseux avait commencé à pincer les cordes, et sa voix, telle celle du muezzin, avait récité, puis psalmodié en modulant de plus en plus. Alors les cinq filles de Farid s’étaient mises à taper dans leurs mains, et, quand le musicien chantait une phrase, elles lui répondaient. Leurs voix prenaient véritablement l’âme de tous les convives assis sous la tente et semblaient les guider vers Allah, tant elles exprimaient l’innocence, la fraîcheur, la subtilité. On voyait leurs fines narines se dilater, et on avait l’impression de pénétrer au fond de leurs gorges, à l’endroit d’où montaient leurs voix claires. Cela dura une éternité… trop brève. Puis Farid renvoya ses filles ; et il se tourna avec un sourire vers son ami.Hossein s’emmitoufle dans sa peau de mouton, car, cette nuit, l’air est froid. Il peut voir la chaîne de montagnes se découper tout autour, comme une couronne noire qui encerclerait la plaine et sur laquelle viendrait se poser la nuit bleue aux multiples étoiles, superbe et sans lune. » (Extrait du Mariage d’Hossein)Cette histoire et 17 autres composent le recueil de nouvelles Le Prince et la Muse.