De la matérialité et des limites discursives du "sexe"
Judith Butler opère dans Ces corps qui comptent une reformulationde ses vues sur le genre en répondant aux interprètes de sonprécédent livre, qui y voyaient l’expression d’un volontarisme(on pourrait «performer» son genre comme on joue un rôle authéâtre, on pourrait en changer comme de chemise) et d’unidéalisme (le genre ne serait qu’une pure construction culturelleou discursive, il n’y aurait pas de réalité ou de substrat corporelderrière le genre). Selon l’auteure, la prise en compte de la matérialitédes corps n’implique pas la saisie effective d’une réalitépure, naturelle, derrière le genre: le sexe est un présupposé nécessairedu genre, mais nous n’avons et n’aurons jamais accès auréel du sexe que médiatement, à travers nos schèmes culturels.Autrement dit, le sexe, comme le genre, constitue une catégorienormative, une norme culturelle, donc historique, régissant lamatérialisation du corps. Il importe dans cette perspective desouligner que le concept de matière a une histoire, et qu’en cettehistoire sont sédimentés des discours sur la différence sexuelle.Or, si certains corps (par exemple les corps blancs, mâleset hétérosexuels) sont valorisés par cette norme, d’autres (parexemple les corps lesbiens ou noirs) sont produits comme abjects,rejetés dans un dehors invivable parce qu’ils ne conformentpas aux normes.A travers une reprise critique du concept foucaldien de«contrainte productive», J. Butler va, loin de tout volontarisme,s’efforcer de ressaisir la façon dont les corps, informés par desnormes culturelles, peuvent défaire ces normes et devenir unlieu d’une puissance d’agir transformatrice. Cette réflexion sur lamatérialité des corps et les limités discursives du sexe est doncindissociablement épistémologique et politique.