Paroles d'Éros

Autant que je m’en souvienne, il m’est encore impossible de traduire exactement l’effet que je ressentis quand, pour la toute première fois, mon regard rencontra celui de cette fille qui fit naître en moi toute la déclinaison des saisons presque dans un seul et même instant. Je vis naître le printemps dans son sourire, l’été dans sa voix, l’automne dans son déhanchement qui l’éloignait déjà de moi et l’hiver quand mes yeux, pourtant grand ouverts, distinguaient à peine sa silhouette qui finit par se confondre avec l’horizon. Alors, j’écrivis son nom partout dans mon agenda scolaire, dans mes cahiers d’exercices tout comme dans mes manuels de cours. J’aurais continué ainsi mes confidences si mon père n’avait pas ouvert, un jour, mon agenda pour découvrir que le nom d’une fille du quartier y était inscrit à répétition. S’il me taquinait un peu au début sur les sentiments qui semblaient m’animer il n’insista pas longtemps devant mon air troublé. Il devait surtout croire qu’il était encore trop tôt pour m’entretenir au sujet de ces choses de cœur. La lecture de l’histoire d’Eros et Psyché au collège se chargea d’éveiller en moi une approche poétique du sentiment amoureux. Je devinais alors les paroles d’Eros, dieu de l’amour et de la puissance créatrice, qui du visage d’une femme feraient résonner les éclats du soleil, qui du silence complice de deux cœurs aimants feraient entendre l’écho de leur âme ou encore qui d’une nuit aux plaisirs accordés des amoureux feraient retentir leur chant d’ivresse.