« La route conduisant à Morlac, en entrant dans le bourg, passait devant l’école publique. Daniel, tout en conduisant, ne put s’empêcher de jeter un coup d’œil à la cour et à la bâtisse. En repensant à ses années d’écolier, passées là, un sentiment de honte, mêlé de peur et de colère l’assaillit. Combien de moqueries, de coups, avait-il dû essuyer les premières semaines qui avaient suivi la rentrée ? Ses vêtements d’un autre temps, rapiécés, attiraient les regards méprisants. L’odeur de la ferme qu’ils dégageaient avait valu à Daniel le surnom de Bousoué. De retour chez lui, il allait se blottir dans les jupes de sa mère, indifférente à son chagrin. Trop affairée, elle le repoussait sans cesse. Là, le nez dans le tissu, il retrouvait cette odeur de paille souillée par les bouses des bêtes, imprégnée lors de la traite dans le vêtement trop rarement lavé, et cela finissait toujours par tarir ses larmes. C’était comme un doudou immatériel. Les câlins ? Il les partageait avec le chien ou les chats sur la fourrure odorante desquels il prenait grand plaisir à frotter tranquillement son visage… »Quelle vie d’adulte peut-on construire sur une enfance blessée ?